Troisième de la mythique Kaiwi Channel Solo entre les îles hawaiiennes de Molokai et Oahu, Iloha Eychenne signe un podium retentissant pour sa toute première traversée en OC1 sur cette course d’exception. Soutenue par les marques tahitiennes ARE Tahiti et Viper, la rameuse tahitienne, marraine de TotalPaddler, confirme son niveau au plus haut et son aisance sur tous les supports. Engagée, technique et curieuse, elle revient avec franchise sur sa performance, son matériel, ses choix, et ses objectifs pour la suite de la saison 2025.

Iloha Eychenne lève le ama de son OC1 ARE Mana
Iloha, bravo pour cette superbe 3e place au Kaiwi Channel Solo ! Est-ce que tu es satisfaite de ta course et de ton résultat ?
Oui, incroyable ! J’y suis allée sans vraiment espérer un résultat. Déjà, j’espérais affronter la distance. Je voulais vraiment ne pas la subir, réussir à bien surfer et à trouver une bonne lecture du plan d’eau pour que les 50 km passent de façon fluide. Donc, le résultat était secondaire pour moi.
Là, le but, c’était vraiment personnel : me retrouver sur cette longue traversée, réussir à gérer mon effort et à maîtriser techniquement les surfs sur un engin que je n’ai pas vraiment l’habitude de manier.
Et donc, le résultat, c’est la cerise sur le gâteau ! Je ne m’attendais vraiment pas à une troisième place, et en plus, une aussi belle. Donc oui, très contente de mon résultat pour une première en océan, une première traversée. Vraiment, très satisfaite.

Peux-tu nous raconter ta traversée ? Quelles ont été tes sensations, les moments forts, les difficultés ?
Concernant le départ, je m’attendais à quelque chose d’un peu plus propre pour une course de cette envergure. Personne n’était aligné, et il a été lancé dix minutes avant l’heure prévue. On était tous face au vent, donc complètement parallèles à la ligne de départ. J’avais la musique dans les oreilles, donc je n’ai rien entendu. D’un coup, je vois les gens devant moi s’exciter, tourner brusquement et partir à fond. Je me suis dit : “Ils ont dû donner le départ”, donc je n’ai pas cherché, je suis partie. Heureusement, j’étais bien placée, personne devant pour me gêner, et malgré ce départ un peu bizarre, j’ai pu bien me lancer.

Très rapidement, on s’est retrouvés dans un plan d’eau glissant. Je me suis dit : “C’est parti.” L’idée, c’était de rester économique. J’avais peur du gros coup de barre au bout de trois heures de course, surtout que le surf, c’est un effort dont je n’ai pas l’habitude. Je suis plutôt habituée à un effort constant, sur des conditions relativement plates. Là, c’était un effort en intermittence : de grosses phases d’envoi, puis de la récup, puis à nouveau de l’envoi. Je suis donc partie tranquille. Mon objectif, c’était de me caler dans les surfs, de rester dedans le plus longtemps possible, et d’envoyer uniquement aux bons moments, pour favoriser la glisse sans me cramer. C’est comme ça que j’ai géré la première partie de la course.
Dès le départ, j’étais au coude-à-coude avec Lauren. Elle était à côté de moi pendant les 30 premières minutes. Je ne savais pas que c’était Lauren Spalding, je ne savais pas qui j’avais en face. Je me suis dit que j’allais la laisser partir, et que peut-être je la rattraperais plus tard dans la course. Grosse erreur : Lauren, tu ne la laisses pas partir, parce que tu ne la rattrapes pas après. Ça, je le saurai pour la prochaine fois.
Donc je l’ai laissée filer, et je me suis retrouvée seule. J’ai fait ma course, sans trop me soucier des autres.

En va’a sur la Marara de la marque Are + pagaie Viper
Et les sensations… elles étaient incroyables. Je me suis sentie très bien pendant toute la course. Je n’ai pas souffert. J’ai vraiment glissé, je me suis fait plaisir, sur 50 km ! Ce qui me faisait le plus peur, c’était de me lasser, d’en avoir marre, de ne plus avoir assez d’énergie pour envoyer sur les bumps, et donc de subir le plan d’eau et de me faire malmener. Mais au final, pas du tout. Je me suis vraiment régalée.
Je crois que les vidéos parlent d’elles-mêmes : j’avais la musique dans les oreilles, je dansais, je chantais… Franchement, je me suis vraiment fait plaisir du début à la fin.
Passées les trois heures de course, je me suis dit : “Le coup de barre va arriver maintenant.” Eh bien, rien. Aucun coup de mou. Jamais. Bon, il y a eu quelques petits moments de flottement, deux ou trois minutes parfois où tu n’es plus trop en phase avec le plan d’eau, mais c’est normal. Ce n’est pas ce que j’appellerais de mauvaises sensations.
Et puis, on arrive dans les vingt derniers kilomètres… Là, je vois le bateau d’Ocean Paddler devant, et je sais qu’il filme l’avant de course. Il était peut-être à un kilomètre cinq devant. Je me suis dit : “C’est sûr, l’avant de course est là.” Ce n’était pas très loin, mais il y avait tout de même un écart. Et là, je me suis dit : “Aller ! la course est presque finie. C’est maintenant, il faut qu’il faut y aller !”
Et là, oui, j’ai commencé à bombarder, à envoyer sur tous les surfs, pour essayer de me rapprocher le plus possible. Je me suis rapprochée, mais pas suffisamment.

Côté difficultés… Je ne veux pas dire qu’il n’y en a pas eu, mais si je devais en citer une, ce serait le cap. Mais je savais où j’allais, j’avais bien pris mes repères. Je ne me suis pas du tout servie de mon bateau suiveur : il était là tout le long, mais il ne m’a donné aucune indication de cap, aucun placement. Même pour les ravitaillements, je n’en ai quasiment pas eu besoin. J’avais mon camelbak, deux ou trois compotes à boire, et c’est passé sans assistance.
Donc non, pas de grosse difficulté en soi. La vraie difficulté, c’était la course elle-même : garder le bon cap, et gérer un effort aussi long, avec une intensité qui peut devenir très exigeante, selon comment tu envoies dans les surfs.
Merci d’avoir accepté d’être l’ambassadrice de TotalPaddler ! On te considère comme la représentante idéale de notre média, présente en V1, OC1, K1, SUP, et en SUP Race. Comment fais-tu pour passer d’un support à l’autre et t’entraîner efficacement sur chacun ?
Comment je fais pour passer d’un support à l’autre et m’entraîner efficacement sur chacun ? Je mise sur la transversalité entre tous les supports.
Pour moi, le coup de rame, ce qu’on cherche à créer dans l’eau, est identique quel que soit le support : V1, OC1, SUP, K1 ou surfski. Il y a vraiment la même intention dans l’eau, et c’est toujours cette idée de créer un appui efficace qui prédomine.
Après, évidemment, il y a des petites spécificités selon les supports : présence ou non d’une dérive, centre de gravité plus ou moins haut, etc.

Mais par exemple, cette année, je me suis entraînée exclusivement en K1 tout le début de saison. De janvier jusqu’à deux semaines avant la Molokaï, je n’ai fait que du surfski. Toute ma préparation physique et technique a été faite sur ce support. Puis j’ai “jumpé” sur l’OC1 deux semaines avant la course. J’ai dû faire une seule descente — le Hawaii Kai Run — et sinon, je me suis entraînée sur des plans d’eau plats en OC1.
Alors bien sûr, on pourrait dire que ce n’est pas vraiment adapté pour préparer une Molokaï. Et oui… et non !
C’était un peu pareil pour les championnats du monde de SUP l’année dernière. J’avais fait toute ma préparation en Va’a, puis je suis passée en SUP. J’ai eu un peu plus de temps cette fois : j’ai fait un mois de SUP avant la compétition. Parce que là, il y a quand même l’équilibre et la technicité du support à prendre en compte. Il fallait que je gère une planche étroite, et sur ce type de planche, si tu n’as pas l’équilibre, tu ne peux pas transmettre 100 % de ta puissance.
Donc oui, j’ai toujours des petites phases d’adaptation avant les compétitions, mais la condition physique, elle, est déjà là — peu importe le support. Et techniquement, je trouve que toutes ces disciplines sont complémentaires. S’entraîner sur l’une n’empêche pas de performer sur une autre.

Tu es justement une rameuse très technique. Comment décrirais-tu les principales différences de rame entre la V1 et l’OC1, et la manière dont tu les as adaptées sur cette course ?
En technique pure, sur du flat, l’OC1, avec son centre de gravité un peu plus haut et son assise sit-on-top, donne un coup de rame où on est plus dans la bascule que dans la rotation. Pour moi, la grosse différence entre le V1 et l’OC1, c’est justement cette difficulté à engager une vraie rotation en OC1, surtout du côté droit. D’ailleurs, c’est souvent comme ça que je me retrouve à l’eau, quand j’essaie de trop engager en rotation, je chavire. L’engin est instable, on est moins calé dedans, et ça rend ce mouvement-là plus compliqué. Du coup, on se retrouve souvent avec une rame plus en bascule qu’en rotation.
Ensuite, il y a le comportement du bateau. Le V1, comme il n’a pas de dérive, il a une certaine inertie. Une fois que tu l’as lancé, tu peux descendre en rythme et garder la vitesse que t’as générée. L’OC1, c’est différent. Le bateau est plus léger, il a une dérive, donc tu perds plus facilement en glisse. Tu dois toujours le relancer, rester en appui tout le temps pour maintenir ta vitesse. Le coup de rame est plus en fréquence, plus sur l’avant.

Il y a aussi la façon de diriger le bateau. En V1, ta rame te sert à la fois à avancer et à diriger. C’est toi qui fais tout. En OC1, tu ne fais que de la propulsion, la direction se fait aux pédales. C’est vraiment deux logiques différentes.
Et après, il y a le surf. Là, c’est encore un autre monde. Pour moi, l’OC1, c’est un bateau mort. J’ai tendance à le comparer à un tronc d’arbre mort. Il ne vit pas. Si tu ne fais rien, il ne fait rien. S’il est sur une mauvaise ligne, il reste sur cette ligne. Il ne te mettra pas naturellement sur une meilleure trajectoire.
Le V1, lui, c’est tout l’inverse. Il est vivant. Il prend des initiatives. Il te surprend. Il a son cap, sa manière de glisser, et selon son assiette, sa position, son élan, il va réagir avec le plan d’eau. Et ça, c’est ce que j’adore. Il y a un vrai échange entre toi et le bateau, tu dois comprendre comment il fonctionne, comment il lit le plan d’eau. C’est pour ça que je préfère le V1. Il y a du jeu, de la vie, des surprises.
Voilà, pour moi, les vraies différences entre les deux embarcations, surtout dans le surf.
Parle-nous de ton OC1. Pourquoi ce modèle ? Qu’est-ce que tu recherches dans une pirogue aujourd’hui ?
Mon OC1, c’est le modèle MANA de chez Are. Pourquoi ce modèle ? Parce que Are a lancé un OC1, que je rame déjà en V1 chez eux, et qu’à Tahiti, quand je monte sur un OC1 — bon, ça m’arrive trois fois dans l’année — c’est celui-là que j’utilise. Donc c’est l’OC1 que j’ai, entre guillemets, l’habitude de ramer.
J’ai été un peu surprise de constater que ce modèle n’était pas toujours pris au sérieux. À chaque fois que je disais que j’allais faire la Molokaï sur un MANA, certains réagissaient avec humour ou étonnement. Mais de mon côté, je l’ai trouvé vraiment adapté à mes attentes. Il a parfaitement rempli son rôle et m’a donné entière satisfaction sur cette course exigeante.

C’est vrai que c’est peut-être un bateau un peu plus technique à prendre en main. J’ai aussi remarqué que certains en parlent sans forcément l’avoir vraiment testé, mais de mon côté, je n’ai pas prêté attention à ces avis. Je n’ai pas essayé d’autres OC1, donc je n’ai pas de point de comparaison, mais je me suis bien habituée à celui-ci. Un peu comme avec ma V1 : c’est un bateau avec ses spécificités, une manière bien à lui de surfer. Il faut prendre le temps de le comprendre, de ressentir sa glisse et son comportement, pour vraiment en tirer le meilleur.
L’un des retours qu’on entend parfois à son sujet, c’est qu’il aurait tendance à s’enfoncer un peu dans le creux des vagues ou à pousser de l’eau. C’est un comportement que j’ai pu observer aussi, mais justement, ça m’a amenée à adapter ma manière de surfer. En choisissant une trajectoire légèrement en travers plutôt qu’en ligne droite, on arrive à éviter cet effet de frein. C’est simplement une question d’adaptation et de lecture de vague.
Et c’est exactement ce que je recherche dans une pirogue. Je veux que le bateau me fasse progresser. J’aime les bateaux techniques, qui m’obligent à aller chercher ce que je ne ferais pas spontanément : chercher une meilleure ligne, travailler mon coup de rame, m’adapter, comprendre la glisse… et faire en sorte que le bateau marche, et que moi je marche avec lui.

Ce que j’aime dire, c’est que le bateau a ses points faibles, et moi aussi. Le but, c’est d’aligner nos points forts. Je connais les limites de mon bateau, je connais les miennes. Donc je sais où je ne vais pas forcer, ni sur lui ni sur moi. Par contre, je vais tout faire pour appuyer là où ça marche, là où on peut vraiment faire la différence ensemble.
C’est un peu ma philosophie, quel que soit le support. Je préfère m’adapter au bateau, plutôt que dire que c’est le bateau qui ne va pas. Je pars toujours du principe que si ça ne marche pas, c’est à moi de trouver comment le faire marcher.
Quelle pagaie utilises-tu actuellement et qu’est-ce qui te plaît dans ce modèle ?
Actuellement, j’utilise un prototype. Ça fait plus d’un an et demi maintenant que je rame avec ce modèle, qui est destiné à devenir mon pro-modèle. C’est une rame de chez Viper. J’ai toujours ramé en Viper, et l’année dernière, j’ai eu l’opportunité de pouvoir designer ma propre pagaie. Pas juste une déco, mais vraiment le shape de la pale.
Là, je suis sur une pale beaucoup plus étroite, plus longue, avec une cuillère un peu plus prononcée, et un peu plus évasée sur le haut. Il y a pas mal d’épaisseur aussi, pour garantir une bonne stabilité de la pale dans l’eau.

L’idée, c’était vraiment de créer un appui solide, un point fixe dès l’entrée dans l’eau. Et en V1, je voulais une pale qui se rapproche un peu de la pale de rame Peperu, parce qu’on est aussi sur de la direction, pas seulement de la propulsion. C’est bien d’avoir une pale performante pour avancer, mais il ne faut pas que ce soit au détriment de la capacité à diriger. Donc j’ai cherché un compromis, une pale qui soit efficace à la fois en propulsion et en direction. En tout cas, qui reste cohérente dans les deux.
Et franchement, ça fonctionne pas mal ! Pour l’instant, c’est encore un prototype, donc elle est un peu lourde, elle n’est pas encore commercialisée… mais j’espère qu’elle sera dans le catalogue d’ici 2026, et que vous pourrez l’essayer.
Tu es aussi entrepreneuse avec ton activité de distribution Va’a Taie. Peux-tu nous présenter ce que tu proposes et à qui cela s’adresse ?
Oui, avec un collègue, Olivier, on a monté une SARL à Tahiti. L’idée nous est venue grâce à Viper et Are, qui sont mes sponsors depuis un petit moment maintenant.
On s’est vite rendu compte qu’il y avait un vrai problème d’acheminement de matériel, surtout vers la France. Rien que pour moi, c’était déjà compliqué d’avoir du matos. Si tu cassais ta rame ou ta V1, tu te retrouvais sans solution rapide pour remplacer. Du coup, on a eu envie de créer une structure qui permettrait de revendre ce matériel sur place, pour répondre à une vraie demande locale et éviter ce genre de galère.

Aujourd’hui, je revends tout ce qu’il y a sur le catalogue Viper et sur le site de Are. Pour Viper, ça comprend les rames, les textiles, les camelbags, les accessoires, les yato, leur V1, la pirogue à voile aussi, et leur V3 qui était encore au catalogue jusqu’à l’année dernière. Et pour Are, je revends les V6, les OC1, les V1, et aussi les V1 Timi, puisqu’Are est en partenariat avec Timi.
Donc voilà, je peux importer tout ce qui est disponible à la vente, que ce soit chez Are ou chez Viper.
Cette course faisait partie de tes grands objectifs de la saison 2025. Maintenant qu’elle est passée, quels sont tes autres projets ou échéances importantes pour cette année ?
La Molokaï (ndlr: ou Molokai to Oahu, autre nom donné à la Kaiwi Channel Solo) faisait clairement partie de mes gros objectifs, c’était un de mes plus gros challenges de l’année. Maintenant qu’elle est passée, il y a d’autres projets qui arrivent.
Il y a toujours les courses en Polynésie, où il faut défendre les titres. Dans deux semaines, il y a le Te Aito, qui est un gros objectif individuel. Ensuite, on aura les championnats du monde de V1 au Brésil, donc l’idée, c’est de tenter de garder le titre. Et il y aura aussi le Te Aito France un peu plus tard.

Côté V6, on va faire la Tahiti Nui Va’a, ce sera notre première participation. Et puis il y a la Vodafone avec les filles, plutôt dans un esprit de plaisir, pour profiter de ramer ensemble. On devrait aussi enchaîner avec une Moloka’i en V6, il reste juste à savoir si ce sera avec Ihilani (équipe tahitienne) ou avec Ka Lahui kai (équipe hawaiienne).
Et puis en fin d’année, il y aura la Hawaiki Nui, toujours avec les filles, là aussi dans l’idée de ramer une dernière fois ensemble, pour le plaisir. Ah, et il y aura aussi un V6 aux championnats du monde. On monte une équipe avec le collectif France pour le mondial au Brésil. Donc voilà les petites échéances à venir !

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www.aretahiti.com
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